" I " de Julien Delorme (Fantasy)

 

Ils ont construit de grands bâtiments, des palais somptueux, des églises et des mausolées de pierre qui jetaient leurs flèches loin dans le ciel. Et ils les ont couvert des effigies de leurs morts. Les chantiers se multipliaient et ils couvrirent leurs champs d’échafaudages cyclopéens. Pendant un temps, tout ne fut qu’entrelacs de métal, arabesques de poutrelles et de colonnes de pierres.

            Et quand ce fut fini, que les échelles et les travées furent remisées aux oubliettes, ils s’enfermèrent pour ne plus voir le monde. Chacun se choisit un chef, un père, un guide, et finalement, chacun se choisit lui-même pour seul maître. Ils se sont battus.

            Les pierres silencieuses répondirent aux cris de ceux qui les avaient érigé. Elles pleurèrent le sang de leurs architectes. Pas une fenêtre à laquelle ne perlât quelque larme écarlate, pas une façade sans les coulées pourpres de la vie qui ruisselle et se gâche.

            Puis les portes se fermèrent définitivement et chacun fut isolé. Il y eut un temps d’attente. De mystérieux vents faisaient sonner les cloches les plus hautes et leur bruit de tonnerre frappa les rues silencieuses par d’éphémères requiems. Puis ce fut l’arrivée des ronces et des lianes, des lierres envahissants qui montèrent à l’assaut des façades et entourèrent de couronnes improbables les têtes des rois morts, seules à oser encore contempler l’extérieur. Les champs et les jachères reprirent possession des lieux. Derrière leurs murailles, ils s’enfoncèrent plus loin encore, fouissant les entrailles de la terre à la recherche de cachettes inaccessibles.

            Et ils ruminent encore de sombres pensées contre ceux de l’extérieur, là bas, au plus profond de leurs caves. Mais je ne les entends pas. Seul au milieu d’eux, je m’étonne de ce peuple qui sortit les morts de leurs tombeaux et préféra s’enterrer à leur place.


© Julien Delorme

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